Focus : Conférence du 15 janvier 2015

« De la morale à la politique ».

YVON QUINOUNous vivons manifestement une crise de la politique dans son rapport à la morale : non seulement au niveau des comportements individuels avec de multiples scandales, mais au sein de la société avec une aggravation sans précédent des inégalités, un appauvrissement de masse, la montée du chômage, le recul des droits sociaux, etc. Or tout cela se heurte à une passivité des philosophes contemporains se repliant sur une conception individualiste de la morale avec sa problématique des vertus et des vices. J’entends donc renouer le fil que la philosophie des Lumières, en particulier Kant et Rousseau, avait tissé entre la morale et la politique.
Cela suppose que l’on distingue bien l’éthique et la morale : toutes deux se réfèrent à des valeurs ; mais les valeurs éthiques (comme le plaisir) sont concrètes, particulières et facultatives, ne concernant que notre vie individuelle, alors que les valeurs morales (comme le respect de la personne humaine en général) sont abstraites, universelles et obligatoires : elles légifèrent sur nos rapports avec autrui. Encore faut-il préciser ce point : ce qui est en jeu ce ne sont pas seulement les rapports interindividuels, mais les relations ou les rapports sociaux dans toute leur réalité historique.
C’est ainsi que la morale commande à la politique : non seulement dans ses moyens, mais dans ses fins par l’intermédiaire d’un droit contraignant dans lequel ses valeurs s’incarnent. D’abord dans le champ de la politique entendue étroitement (institutions, forme de gouvernement) comme le prouve la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, avec ces valeurs essentielles que sont la liberté et l’égalité, puis dans celui des droits sociaux à travers toutes les conquêtes du mouvement ouvrier à partir du 19ème siècle que l’Etat social (ou l’Etat-Providence) a enregistrées dans ses lois. Enfin, on se demandera si la morale doit s’arrêter à la porte de l’économie, en l’occurrence l’économie capitaliste, comme le prétendent certains (les libéraux, mais aussi un philosophe comme Comte-Sponville) : devons-nous renoncer moralement à transformer celle-ci pour l’humaniser ?
Yvon Quiniou